Instabilité de la surface de Fermi lors de la transition « d’ordre caché » dans URu2Si2

Instabilité de la surface de Fermi lors de la transition « d’ordre caché » dans URu2Si2

Andrés F. Santander-Syro (ESPCI et CSNSM)
Markus Klein, Florin L. Boariu, Andreas Nuber (Universität Würzburg)
Pascal Lejay (Institut Néel)
Friedrich Reinert (Universität Würzburg et Karslruhe Gemeinschaftslabor für Nanoanalytik)

Nature Physics
Published online 26 July 2009
DOI : 10.1038/nphys1361

La réorganisation spontanée et collective des degrés de liberté d’un système lors d’une transition de phase vient généralement accompagnée d’une rupture de symétrie et l’apparition d’un paramètre d’ordre. La cristallisation de l’eau, l’alignement des spins électroniques dans un aimant, l’apparition de la supraconductivité dans un métal refroidi, ou encore l’apparition de particules massives dans l’Univers primitif sont tous des exemples de transitions de phase. Souvent, le paramètre d’ordre associé à la transition est facilement identifié, mais il existe des cas pour lesquels on observe une claire transition de phase sans qu’on puisse identifier le paramètre d’ordre correspondant : on est confrontés à un « ordre caché » [1]. En physique des particules, par exemple, des modes collectifs de masse non nulle (modes « lourds », les bosons W et Z) émergent suite à une brisure de symétrie de l’interaction électrofaible. Le paramètre d’ordre associé à cette brisure de symétrie serait l’hypothétique boson de Higgs, encore non détecté et but majeur du LHC. En physique du solide, un exemple paradigmatique d’ordre caché est le métal URu2Si2, qui présente une transition de phase de deuxième ordre à une température To = 17.5 K, et dont le paramètre d’ordre associé reste un mystère après plus de 25 ans de recherche intensive tant expérimentale que théorique. Dans ce matériau, les fortes répulsions entre les électrons de conduction (amenant à des masses effectives électroniques grandes) mettent en compétition les comportements localisés et itinérants de ces électrons. Une question critique est savoir si l’ordre caché dans l’URu2Si2 survient des électrons des orbitales f localisés sur les atomes d’uranium, ou si au contraire des électrons itinérants lourds sont à l’origine de l’instabilité donnant lieu à la transition.

En collaboration avec des chercheurs allemands et grenoblois, nous avons mené des expériences de spectroscopie de photoémission résolue en angle (ARPES) pour sonder les excitations collectives de basse énergie de ce matériau, et leurs changements lors de la transition d’ordre caché. Nous avons découvert que quand l’URu2Si2 est refroidi à son état d’ordre caché, une bande d’électrons lourds, ayant une masse 25 fois supérieure à la masse de l’électron, migre des états microscopiques non occupés vers les états microscopiques occupés, causant une instabilité dans la surface de Fermi qui sépare ces deux ensembles d’états et qui est responsable du comportement macroscopique du métal [2]. La découverte de ce mode collectif massif, et de son changement lors de la transition, devraient aider les théoriciens qui cherchent à expliquer l’élusif et fascinant ordre caché.

[1] V. Tripathi, P. Chandra and P. Coleman. Sleuthing hidden order. Nature Physics 3, 78 (2007)
[2] A. F. Santander-Syro et al. Fermi-surface instability at the ‘hidden-order’ transition of URu2Si2. Nature Physics DOI : 10.1038/nphys1361 (July 2009).


Fig.1 . A gauche, spectre ARPES au dessous de la température d’ordre caché (intensité en couleur en fonction de l’énergie de liaison et le vecteur d’onde électronique). Les lignes en pointillés montrent une bande d’électrons lourds et une bande de conduction hybridées. A droite, évolution en température du pic spectral des électrons lourds, intégré sur tous les vecteurs d’onde. La température d’ordre caché est To = 17.5 K.

Crédits images : Andrés F. Santander-Syro.

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