Alors que l’élément de base de la supraconductivité est la paire de Cooper, d’une taille généralement cent fois plus grande que celle d’un atome, en analysant finement une couche monoatomique de plomb supraconducteur, des physiciens ont mis en évidence des structures plus de 10 fois plus petites que les paires de Cooper. Cette observation est l’indice que dans ce système, l’état supraconducteur est plus complexe que ce que l’on pensait jusqu’à présent.
Dans le mécanisme habituel conduisant à la supraconductivité, les électrons s’associent en paire, les paires de Cooper, qui condensent toutes dans un même état quantique. Généralement, ces « paires de Cooper » ont une extension spatiale de plusieurs dizaines de nanomètres, soit bien plus que la taille des atomes. En analysant la structure spatiale d’un supraconducteur composé d’une couche monoatomique de plomb déposée sur un substrat de silicium, des physiciens de l’Institut des Nanosciences de Paris - INSP (CNRS / UPMC) et du Laboratoire de physique et d’étude des matériaux - LPEM (CNRS / ESPCI / UPMC) ont mis au jour dans l’état supraconducteur des structures de taille comparable à la taille de quelques atomes, c’est-à-dire bien plus petites que les paires de Cooper, pourtant considérées comme les briques de base de l’état supraconducteur. Ce travail est en contradiction avec les modèles théoriques de supraconductivité dans de tels systèmes. Il suggère l’existence de fortes corrections quantiques de type Bose-Einstein aux paires de Cooper, dues à une importance accrue des effets de corrélation entre électrons via le désordre dans ce système purement bidimensionnel. Ce travail est publié dans la revue Nature Physics.
Pour réaliser ce travail, les physiciens ont fait croître sous ultravide des monocouches cristallines de plomb sur un substrat de silicium. Ils ont alors analysé la structure électronique de ce système par microscopie à effet tunnel, à très basse température et sous champ magnétique. Cette technique locale à balayage permet de mesurer le spectre d’excitation du condensat supraconducteur à l’échelle atomique. Les chercheurs ont ainsi déterminé l’effet des défauts ponctuels sur le spectre d’excitation électronique. En règle générale, un spectre de conductance tunnel acquis sur un supraconducteur conventionnel (BCS) montre deux pics, appelés pics de quasiparticules ou de cohérence, entourant une bande d’énergie interdite ou gap où la conductance est nulle. Dans les deux monocouches étudiées, les chercheurs ont mis en évidence une variation spatiale de ces spectres à une échelle inférieure à la longueur de cohérence des paires de Cooper, cette dernière valant environ 50 nm dans les deux systèmes. Un deuxième effet tout aussi surprenant a été mis en évidence pour une monocouche atomique de plomb de moindre densité : les fluctuations spatiales de remplissage de la bande interdite ont une longueur caractéristique elle aussi bien inférieure à la taille des paires de Cooper. L’analyse théorique de ce système a permis de comprendre l’origine de ce second effet : une interaction particulière à la surface des matériaux entre le spin et le moment orbital des électrons, connue sous le nom d’effet Rashba. Ces résultats permettent également d’anticiper des effets analogues sur d’autres films supraconducteurs ultraminces ou d’interface.
Effets des défauts sur la supraconductivité d’une monocouche atomique de Pb/Si(111)
a) Cette carte illustre le rôle joué par les marches de surface sur la supraconductivité d’un seul plan atomique. Cette image topographique mesurée par microscopie à effet tunnel (STM) montre une zone de 600x600 nm2 avec plusieurs terrasses atomiques séparées par des marches monoatomiques. Dans un faible champ magnétique (0.04T) les zones bleues restent supraconductrices et les vortex se piègent uniquement sur les endroits faibles (liens Josephson) que sont les bords de marche.
b) Zoom à petite échelle au milieu d’une terrasse. On peut voir la résolution atomique ainsi que plusieurs domaines orientationnels contenant différents défauts structuraux (adatomes, clusters, lacunes, joints de grain).
c) Cette carte mesurée sur la zone b) montre le rôle collectif joué par les défauts. D’importantes fluctuations spectroscopiques (visualisées par le contraste entre les zones rouges et les zones bleues-vertes) se produisent sur des longueurs beaucoup plus petites que la longueur de cohérence supraconductrice ξ = 50 nm.
En savoir plus
Remarkable effects of disorder on superconductivity of single atomic layers of lead on silicon, C. Brun1, T. Cren1, V. Cherkez1, F. Debontridder1, S. Pons1, D. Fokin1,2, M. C. Tringides3, S. Bozhko4, L. B. Ioffe1,5,6, B. L. Altshuler7 et D. Roditchev1,8, Nature Physics (2014)
1 Institut des Nanosciences de Paris (INSP)
2 Joint Institute for High Temperatures, Moscow, Russia
3 Ames Laboratory, US Department of Energy, and Department of Physics and Astronomy, Iowa State University, USA
4 Institute for Solid State Physics, Chernogolovka, Russia
5 Laboratoire de physique théorique et hautes énergies (LPTHE)
6 Department of Physics and Astronomy, Rutgers University, USA
7 Physics Department, Columbia University, USA
8 Laboratoire de Physique et d’Étude des Matériaux (LPEM)
Contact chercheur
Christophe Brun,